C'est la crise sanitaire de COVID-19 et de ce fait l'explosion des déficits publics, qui a mis en lumière la question de la « dette perpétuelle ». Comment des États surendettés, en récession, pourront-ils rembourser les centaines de milliards d'euros qu'ils ont empruntés ? Cela semble impossible sauf en empruntant à nouveau pour rembourser. Mais de ce fait, la dette publique augmente toujours plus. A fin 2019, il s’élevait déjà à 2 415 milliards € 1 et, fin 2020, l'ardoise alourdie par les nouveaux « déficits COVID » devrait représenter près de 120 % du PIB. 1
Ce casse-tête du remboursement de la dette avait déjà suscité le débat en 2015 quand le ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis, avait proposé de convertir la dette publique de son pays en dette perpétuelle. En mai 2020, les députés du groupe La France Insoumise ont déposé une proposition de loi en ce sens : selon eux, la BCE (Banque Centrale Européenne) devrait transformer en dette perpétuelle la dette publique qu'elle détient sur la France.
Mais qu’est ce qu’une dette perpétuelle, une dette sans fin que l'on ne remboursera jamais ? Pas exactement. Sur le plan juridique, il s'agit d'un prêt financier consenti contre la remise de titres de créances négociables dont le contrat d'émission ne prévoit aucune date d'échéance 1. Autrement dit : aucun flux de remboursement du capital n'est prévu, seul le paiement des intérêts incombe à l'émetteur des titres (entreprises privées, États...). Cela pourrait être un précieux ballon d'oxygène pour les emprunteurs les plus endettés. Encore faut-il convaincre les investisseurs...
Taux d'intérêts élevés contre incertitude sur le capital
En souscrivant cette dette perpétuelle (matérialisée par des « obligations perpétuelles »), l'investisseur (banque, assureur, fonds...) ignore quand il récupérera son investissement (il lui est impossible d'exiger de l'émetteur le remboursement du capital prêté). C'est pourquoi la dette perpétuelle doit procurer un taux d'intérêt supérieur à ceux des autres obligations. Et pour cause : l'investisseur (prêteur) peut ne pas être remboursé. Sauf à agir comme une banque centrale, il court ce risque pour profiter du taux d'intérêt de la dette émise aussi longtemps qu'elle n'est pas remboursée.
On constate cependant historiquement que cette dette perpétuelle finit souvent par être remboursée et sa rémunération n'est pas sans fin : il s'agit d'une ancienne pratique apparu au XVIe siècle et d'abord appelé « rente perpétuelle ». Tout au long du XIXe siècle et jusqu'aux deux dernières guerres mondiales, cette rente perpétuelle a permis d'éponger les dettes consécutives aux guerres et révolutions. Avec des taux d'intérêt à 5% (puis 3%), elle a longtemps fait la fortune (à vie) de certains 1 jusqu'à l'arrivée de l'inflation au XX e siècle qui ruina bon nombre de rentiers.
Une dette négociable et finalement remboursable si le débiteur le veut
Pas plus qu’hier, avec la rente perpétuelle, qu'aujourd'hui avec les « obligations perpétuelles », les investisseurs ne sont empêchés de récupérer (plus ou moins) leur capital : ils le peuvent sur le marché secondaire (les titres de créance étant « négociables » même sans date d'échéance). 1
Hier le rentier pouvait céder la propriété de la rente à un autre investisseur qui la lui rachetait pour percevoir les intérêts à sa place, aujourd'hui, la transaction se réalise à une valeur représentant un pourcentage du nominal de la créance selon l'évolution des taux d'intérêt : en cas de baisse des taux, le cours augmente et inversement en cas de hausse. De son côté, l'émetteur de la dette perpétuelle doit payer les intérêts, tout en disposant de la faculté de rembourser le capital s'il le souhaite (par exemple, pour cesser de payer des intérêts qui deviendraient trop coûteux).
Actuellement, des obligations perpétuelles existent et fonctionnent pareillement en intégrant une clause de remboursement anticipé (« call ») : l'émetteur est seul maître du remboursement du capital que le créancier (souscripteur) ne peut pas refuser.
Compte tenu de la crise actuelle, la BCE pourrait-elle y recourir pour transformer en dette perpétuelle l'écrasante dette publique de certains États (comme l'Italie, l'Espagne, la France...) ne laissant à leur charge « que » le paiement des intérêts ? L'idée fait son chemin.
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Source: Webedia, Janvier 2021.
Crédit visuel : Pekic; Gettyimages.